Le cerveau n’est pas immuable : il se bâtit au fil des ans. Des facteurs autres que la génétique, comme les expériences, les relations, les habitudes et le savoir commun, influencent aussi le développement cérébral. Les événements de l’enfance influent sur la trajectoire de vie.
L’Histoire du cerveau est une formation gratuite en ligne sur le rôle des expériences de la petite enfance dans le développement cérébral. Mise au point par l’Initiative albertaine pour le bien-être de la famille (AFWI), son but est de mettre la neuroscience à la portée des professionnels travaillant avec des enfants et adolescents. Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) a collaboré avec l’AFWI pour déployer la formation à l’échelle nationale et la traduire en français. Ensemble, ils souhaitent diffuser la science de l’Histoire du cerveau, faire connaître l’usage de substances comme une question de santé publique, atténuer la stigmatisation et changer les politiques et pratiques.
L’Histoire du cerveau aborde le lien entre les expériences de la petite enfance, le développement cérébral et la santé, et montre que les enfants ne peuvent se bâtir un cerveau sain par eux-mêmes (leur environnement joue un grand rôle). Il leur faut des interactions positives et enrichissantes avec leurs parents et autres aidants tout au long de leur vie, surtout pendant l’enfance et jusqu’au milieu de la vingtaine. Les traumatismes en bas âge et les expériences négatives durant l’enfance (ENE) sont souvent associés à la maladie mentale et à l’usage de substances plus tard dans la vie.
Les ENE sont des expériences stressantes, comme les mauvais traitements, la négligence et le dysfonctionnement familial (dont la violence), vécues avant l’âge de 18 ans et qui peuvent nuire à la santé tout au long de la vie. Selon des études, plus une personne a vécu d’ENE, plus elle est susceptible de fumer, d’avoir une forte consommation d’alcool et de prendre de la drogue. Il existe aussi un lien entre les ENE et une probabilité accrue de dépression et de troubles de l’humeur, de besoin de traitement psychiatrique et de tentative de suicide. Les maladies cardiaques, le cancer et les AVC sont également associés aux ENE.
Mais il ne faut pas perdre espoir. Chaque interaction positive d’un jeune avec un adulte protecteur et présent compte : le jeune se sent alors valorisé, important et aimé, et sait qu’on répond à ses besoins. Un éducateur sachant comment et quand accompagner un enfant et sa famille peut favoriser l’adoption de saines habitudes de vie, renforcer les communautés et diminuer le risque de troubles de santé mentale et d’usage de substances.
L’Histoire du cerveau et le personnel scolaire
Bien que les parents jouent un rôle crucial dans le développement de leur enfant, les éducateurs peuvent aussi influer sur l’architecture cérébrale des enfants. La réaction des enseignants, conseillers et autres membres du personnel scolaire au stress et aux comportements se répercute dans leur propre vie. Nul besoin d’être un neuroscientifique pour mettre en pratique la formation : connaître la science du développement cérébral et en informer ses collègues pourra entraîner des changements concrets.
Lorsqu’un enfant vit un traumatisme, cela nuit à sa capacité d’apprendre, de réguler ses émotions, de faire des choix et de réprimer ses impulsions. Nous ne partons pas tous sur un pied d’égalité, et nos bases, plus ou moins solides, dépendent de ce que nous avons vécu dans la petite enfance.
L’Histoire du cerveau et l’école
Pour faire connaître la science de l’Histoire du cerveau, l’AFWI et le CCDUS ont lancé le labo Bâtisseurs de cerveaux en 2018. Plus de 60 professionnels de partout au Canada y ont assisté.
Les participants provenaient de divers secteurs (éducation, dépendance, santé mentale, services sociaux, santé publique). Le CCDUS leur a fourni l’aide de mentors et l’accès à ses réseaux, les a encouragés à suivre la formation sur l’Histoire du cerveau et a organisé des ateliers. De 2019 à 2021, les participants ont travaillé à des projets visant à intégrer la science de l’Histoire du cerveau à leur travail, à leur communauté et au milieu de l’éducation.
L’Histoire du cerveau en action et l’École indépendante Bayview Glen
Participante au labo, Samantha Yarde travaillait à l’École indépendante Bayview Glen, qui offre un enseignement allant de la maternelle à la 12e année. En tant qu’éducatrice, Mme Yarde s’était déjà familiarisée avec la science du cerveau pendant ses études sur la petite enfance et le développement de l’enfant. La formation sur l’Histoire du cerveau lui a permis d’approfondir ses connaissances. Selon elle, les professionnels de l’éducation auraient avantage à en savoir plus sur le développement du cerveau et son rôle dans l’apprentissage, la santé et le bien-être.
Voyant que la formation sur l’Histoire du cerveau pourrait bénéficier à toute l’école, Mme Yarde a voulu en communiquer la science au personnel enseignant et l’intégrer aux programmes et salles de classe. Dès le départ, elle a bénéficié du soutien de la direction et a obtenu l’aval du personnel lors d’ateliers et de sondages. Elle a reconnu l’importante contribution des éducateurs non seulement pour les résultats d’apprentissage, mais aussi pour la santé et le bien-être des élèves à l’âge adulte.
Mme Yarde a d’abord mis au point des ateliers pour les enseignants du préscolaire à la 5e année portant sur l’apprentissage social et émotionnel et l’importance des relations avec des adultes. La deuxième phase du projet ciblait les enseignants de la 6e à la 12e année, mais elle a été mise sur la glace lorsque la pandémie a frappé en mars 2020. Mme Yarde s’est rapidement adaptée et a donné les ateliers en virtuel.
Les commentaires reçus après les ateliers montrent que les employés ont trouvé l’information utile. Nombre d’entre eux ont recadré leur compréhension des comportements des élèves en classe, et ont commencé à intégrer les concepts de la science du cerveau aux discussions sur les difficultés en classe. Les attitudes et croyances des enseignants sur l’origine des comportements des élèves ont évolué, et une meilleure compréhension du rôle de l’apprentissage socioémotionnel dans les résultats des élèves est graduellement apparue.
La direction de l’école a aussi insisté sur l’apprentissage socioémotionnel des élèves et a déployé un programme sur le sujet. Ce changement de culture et d’allocation des ressources pourrait avoir d’importantes retombées dans la pratique des enseignants et les résultats des élèves.
L’Histoire du cerveau en action et la circonscription scolaire 91
Psychologue à la circonscription scolaire 91, à Nechako Lakes (C.-B.), Stephanie Lindstrom a aussi assisté au labo Bâtisseurs de cerveaux. La circonscription sert environ 4 000 élèves dans 20 établissements. L’effet des traumatismes sur la capacité des élèves à apprendre et à réussir était déjà dans la ligne de mire de la circonscription, qui n’en abordait toutefois pas les causes. Mme Lindstrom voulait utiliser l’Histoire du cerveau pour créer un langage commun sur cet enjeu et harmoniser les opinions et stratégies d’intervention en classe.
Mme Lindstrom a monté un atelier qui intègre les concepts de l’Histoire du cerveau à la théorie psychologique et à une perspective parent–grand-parent. Elle a utilisé de courtes vidéos de l’AFWI afin d’illustrer les grands concepts. L’atelier a été très bien accueilli, et elle a été invitée à le présenter à une autre école lors d’une journée pédagogique.
Mme Lindstrom a été surprise de la rapidité à laquelle les enseignants du secondaire ont adopté les connaissances, car elle pensait qu’ils les considéreraient comme moins pertinentes que leurs collègues du primaire. La science de l’Histoire du cerveau s’intègre lentement aux discussions du personnel et crée une compréhension et un langage communs dans la circonscription. Des conversations sur les traumatismes et leurs répercussions sur les expériences des élèves ont lieu régulièrement, et le personnel explore de nouvelles idées sur les façons d’aborder le sujet en classe.
La circonscription a depuis demandé à tous les directeurs d’école de suivre la formation sur l’Histoire du cerveau et a encouragé les enseignants à faire de même.
La science de l’Histoire du cerveau : la suite
Intégrer la science du cerveau à l’éducation peut changer en profondeur la façon dont les éducateurs voient les élèves et dont les élèves se voient. Pour en savoir plus sur le labo Bâtisseurs de cerveaux, lire d’autres histoires et visionner des vidéos sur les retombées de la science du cerveau sur les communautés et milieux de travail, consultez le www.ccdus.ca/experiences-negatives-durant-lenfance.
Pour en savoir plus sur la formation gratuite sur l’Histoire du cerveau et consulter divers outils, voir le www.albertafamilywellness.org.
Par : Doris Payer, neuroscientifique en dépendance et courtière principale du savoir, Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances