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L’autocompassion : une nécessité absolue

Les intervenants qui pratiquent l’autocompassion sont peut-être les meilleurs de tous!

Nous n’exercerions pas la profession d’intervenant scolaire si nous n’étions pas d’un naturel compatissant. C’est l’une de nos qualités les plus admirables. Nous nous efforçons de faire de notre mieux :

  • en manifestant de la gentillesse et de la compréhension envers l’élève qui est devant nous;
  • en intégrant la compassion à nos messages aux assemblées scolaires où nous présentons de l’information sur les conditions d’obtention du diplôme, les occasions de bénévolat ou la planification des études postsecondaires;
  • dans les nombreuses réunions où nous écoutons les questions et les préoccupations de l’administration et du personnel, et où on nous demande de faire des présentations au personnel, à la direction des départements et aux conseils de parents sur divers aspects de l’orientation professionnelle.

Nous faisons de notre mieux, jour après jour, pour manifester de la tendresse, de l’empathie et de la sympathie, et pour aider nos élèves qui sont en détresse. Puis nous rentrons à la maison, où nous retrouvons d’autres êtres – nos enfants, notre partenaire, nos parents, nos animaux de compagnie – dont nous prenons également soin. À force d’exprimer tant de compassion, bien des intervenants finissent par accumuler de la fatigue et de l’épuisement.

J’essaie d’apprendre la pratique de l’autocompassion et de l’intégrer à mes fonctions d’intervenante scolaire. Il y a quelques années, au cours d’une discussion sur l’« équilibre », mon bon ami Sean Dolan (qui écrit dans cette revue) m’a recommandé un article de Kristen Neff sur ce qui freine notre bienveillance envers nous-mêmes.[1] Dans cet article, elle décrit les mythes que nous sommes portés à croire au sujet de l’autocompassion.

Voici, d’après Neff, les cinq mythes de l’autocompassion :

  1. L’autocompassion est une forme d’apitoiement sur soi.
  2. L’autocompassion est synonyme de faiblesse.
  3. L’autocompassion est une source de complaisance.
  4. L’autocompassion est une source de narcissisme.
  5. L’autocompassion est un sentiment égoïste.

J’explorerai ici les liens qui existent entre trois de ces mythes et notre fonction d’intervenant scolaire.

Une forme d’apitoiement sur soi

La recherche décrite dans l’article de Neff révèle que les personnes qui pratiquent l’autocompassion et se font du bien régulièrement traitent aussi les autres avec la compassion qu’ils méritent. Autrement dit, en pratiquant l’autocompassion, on ne s’apitoie pas sur soi-même. On est plutôt en mesure de voir et d’accepter avec bienveillance les sentiments difficiles que l’on éprouve. En fait, la recherche démontre que la pratique de l’autocompassion est bénéfique pour la santé mentale. Pour les intervenants scolaires qui font de la planification de carrière et d’études et qui travaillent avec des élèves et des familles aux prises avec des problèmes de santé mentale, la pratique d’une certaine autocompassion ne peut être que bénéfique sur les plans personnel et professionnel, car elle les rend mieux à même de se vouer à leurs élèves.

Un synonyme de faiblesse

Au lieu de voir l’autocompassion comme une faiblesse, Neff souligne : « Des équipes de recherche découvrent que l’autocompassion est l’une des sources d’adaptation et de résilience les plus puissantes qui s’offrent à nous. Lorsque nous vivons une crise existentielle majeure, l’autocompassion semble faire toute la différence dans notre capacité à survivre, voire à prospérer. » Comme nos élèves, les enseignants et les intervenants scolaires sont confrontés à des problèmes et des défis dans leur vie personnelle. Nous devons accueillir ces difficultés. La capacité de montrer qu’on est vulnérable est un don, et les intervenants qui sauront mettre ce don en pratique pourront mieux compatir avec les élèves, les familles et les enseignants et, partant, mieux les aider, même si les personnes que nous aidons voient dans l’autocompassion une forme de faiblesse. 

Une source de complaisance

Neff estime que le principal obstacle à la pratique de l’autocompassion est le suivant : si nous ne faisons pas notre autocritique après une erreur ou un échec (dans un effort tordu d’automotivation), alors nos efforts d’amélioration seront compromis par la complaisance et le défaitisme. Or, la recherche révèle que « l’autocompassion est une force de motivation personnelle beaucoup plus efficace que l’autopunition ». Combien de fois avez-vous versé dans l’autocritique quand un parent ou un élève n’appréciait pas vos conseils professionnels? Combien de reproches vous êtes-vous faits? L’autocompassion est un moyen non pas d’éviter de nous responsabiliser face à nos actes, mais bien de nous responsabiliser davantage. Si nous arrivons à nous libérer de l’autocritique acerbe, nous nous donnerons de l’espace où découvrir des solutions différentes et trouver les appuis nécessaires pour tirer le meilleur de nous-mêmes.

Pratiquer l’autocompassion

La pratique de l’autocompassion agit sur notre façon de nous parler à nous-mêmes lorsque survient un obstacle dans notre vie, ainsi que sur la bienveillance que nous insufflons dans notre expérience de la souffrance. Pour nous, les intervenants scolaires, l’autocompassion vise à préserver notre bienveillance envers nous-mêmes. Autrement dit, nous devons cesser d’être aussi critiques et intransigeants envers nous-mêmes. Le discours intérieur négatif et le désabusement risquent de nous mener dans un cul-de-sac où nous aurons l’impression que nous ne valons rien ou que nos efforts sont peu ou pas appréciés. 

À titre de professionnelle agissant au sein d’une industrie centrée sur la compassion, l’oubli de soi et la préséance donnée au bien-être social et affectif d’autrui plutôt qu’au nôtre, je crois désormais que les meilleurs intervenants scolaires sont ceux qui pratiquent l’autocompassion – une chose que j’ai omis de faire pendant bien des années. Maintenant que je suis mieux établie dans cette profession, je sens qu’un grain de sagesse s’infiltre dans ma perspective. Neff écrit que cette sagesse se trouve dans « la reconnaissance de notre humanité commune ». Je me dois de pratiquer l’autocompassion, dans toutes les formes qui me conviennent, tous les jours (et elle peut changer de forme d’un jour à l’autre, selon mes besoins). Je reconnais que, comme mes élèves, j’ai moi aussi des lacunes et des imperfections. Les journées ne sont pas toutes formidables et, comme le souligne Neff, je suis « tout aussi susceptible que n’importe qui de subir les piqûres et les flèches de l’affreuse (mais tout à fait normale) infortune ». Personnellement, l’autocompassion m’aide à mieux servir les élèves que j’oriente et à leur manifester de la compassion. Par conséquent, je finis par modéliser l’autocompassion au bénéfice des élèves et des familles que je rencontre chaque jour.

Donc, à l’aube d’une nouvelle année scolaire, je vous prie de penser à faire preuve de bienveillance envers vous-même. Sachez reconnaître vos sources de stress, comprendre que vous n’êtes pas un être parfait et faire valoir vos besoins. Mettons tous de l’autocompassion dans notre vie.