Summer 2024 - French

Tranquillité d’esprit : Vous êtes bien meilleur·es que vous ne le pensez!

Dans cette dernière chronique de Tranquillité d’esprit, qui met fin à mon mandat pour le magazine Canadian School Counsellor, je tiens à remonter le moral de l’intervenant·e scolaire solitaire, enchaîné·e à son bureau, qui croule sous la paperasse, loin, en apparence, de l’agitation de la vie de son établissement. Nous savons ici les dons que l’intervenant·e scolaire déploie pour enrichir la vie de l’élève et la manière dont ces talents façonnent la communauté scolaire, souvent sans aucune reconnaissance.

C’est le métier!

En tant qu’intervenant·e scolaire, vous avez mauvaise réputation. Le corps enseignant pense que vous passez la journée dans votre bureau à siroter des cappuccinos. Les responsables de l’administration se déchargent volontiers sur vous de tâches qui relèvent de leurs fonctions. Les élèves imaginent que vous ne croyez pas en eux. Les parents se demandent ce que vous faites pour aider leur enfant. Bien sûr, ce sont là des généralités, mais nous les avons toutes et tous entendues. C’est vrai : l’intervenant·e scolaire se cache parfois dans son bureau; il arrive que l’administration en fasse son souffre-douleur; que les élèves l’accusent de briser leurs rêves, quand ce ne sont pas les parents qui lui reprochent de « gaspiller l’argent du contribuable ».

Pourtant, la réalité est tout autre.

Comme intervenant·e scolaire digne de ce nom – si vous lisez cette rubrique, c’est que vous exercez ce métier –, vous vous êtes bâti une carapace qui vous protège des bavardages vains au sujet de votre travail. Vous êtes une personne professionnelle, organisée, compatissante. L’élève, c’est votre priorité. Vous faites de votre mieux compte tenu de vos compétences. Vous collaborez avec le corps enseignant quand le dossier de l’élève est préoccupant. Vous tenez tête à l’administration quand celle-ci ne s’attelle pas comme il se doit aux questions essentielles, entre autres le harcèlement scolaire. Vous dites la vérité aux élèves lorsque leurs objectifs ne correspondent pas à leurs résultats. Enfin, vous faites comprendre aux parents que l’éducation est un partenariat entre le foyer et l’école, et que vous avez toujours à cœur l’intérêt supérieur de l’élève. C’est ce que vous faites jour après jour, mois après mois, année scolaire après année scolaire. Et vous le savez mieux que quiconque : vous n’en tirez aucune reconnaissance, aucune gloire. C’est pourquoi, parfois, votre tranquillité d’esprit vacille.

Les plus beaux coups

Rien de nouveau ici. Même s’il vous arrive d’en douter, vous savez que vous faites de votre mieux pour avoir une incidence positive sur la vie des élèves dont vous vous occupez. Vous souhaitez toutefois améliorer vos résultats? Voici quelques suggestions basées sur l’expérience que j’ai accumulée au fil des ans comme intervenant scolaire et auteur de cette publication.

Attention aux « ismes »

Racisme, classisme, sexisme, âgisme, hétérosexisme, autant de préjugés qui sortent involontairement de notre inconscient et s’immiscent dans nos pensées. Même si nous croyons ne pas avoir de préjugés à l’égard de certaines personnes de notre entourage, notre inconscient ne partage peut-être pas cet avis. Que faire, dès lors? Prendre conscience de ces « ismes » et faire preuve de prudence quant à la manière dont ils se manifestent dans nos relations avec autrui. J’ai beaucoup appris à ce sujet lorsque j’ai écrit des articles sur le privilège blanc et les préjugés raciaux. Je me souviens avoir rédigé des textes sur les obstacles à l’enseignement que vivent les élèves issus des communautés noires, autochtones et composées de personnes de couleur. J’ai été particulièrement touché par les informations que les élèves autochtones m’ont confiées. J’ai appris davantage encore lorsqu’on m’a demandé d’explorer la question transgenre et que j’ai eu l’occasion d’interviewer une jeune personne trans dont la perspicacité et la franchise m’ont fait prendre conscience de ma vision du monde. C’est un fait : les « ismes » existent. Personne n’est parfait. Ouvrez l’œil! Observez comme ils tentent parfois de se faufiler ici et là. Repérer vos préjugés, les nommer, c’est une première étape incontournable.

N’oubliez pas la « malédiction qui frappe l’intervenant·e scolaire »

Avez-vous parfois l’impression que, malgré la véracité de vos paroles dont vous avez la certitude, la personne en face de vous pense que vous êtes complètement à côté de la réalité? C’est l’essence même de la « malédiction qui frappe l’intervenant·e scolaire ». Vous êtes le gardien du réel. Vous évaluez les situations et, sur la base de votre jugement professionnel, vous donnez d’excellents conseils. Souvent, ces conseils sont rejetés d’un revers de la main. Pire, il arrive que l’on vous accuse de tuer un rêve ou de brimer le développement de l’élève.

C’est un non-sens absolu.

L’intervention scolaire consiste à atteindre le rêve – la destination –  et non à le tuer dans l’œuf. Continuez à dispenser vos conseils et vous vivrez avec la malédiction qui frappe celui ou celle qui dit la vérité. Lorsque l’élève ou le parent affirmera : « Tu vois, je te l’avais bien dit que j’y arriverais! », parce que l’élève aura été admis dans un programme hors de sa portée quand il était en dixième année, souriez et rappelez-vous la « malédiction qui frappe  l’intervenant·e scolaire ». Vous le lui aviez dit que ce programme était alors hors de portée parce qu’il ou elle obtenait à peine ses notes de passage. Vous le saviez : si vous ne lui aviez pas présenté la vérité, l’élève n’aurait pas trouvé la motivation nécessaire pour changer son fusil d’épaule et faire des progrès. N’oubliez jamais que vous êtes le héros ou l’héroïne méconnu·e – entre autres quantité de héros et d’héroïnes – de nombreuses histoires.

Trouver du réconfort dans le silence

Le manque de reconnaissance du travail exceptionnel que vous accomplissez est assourdissant. Bien sûr, parfois, on vous donne une tape dans le dos, mais la plupart du temps, personne ne se rend compte de la quantité de tâches que vous abattez. Comme cette fois où vous avez inscrit l’élève dans un club parce qu’il avait désespérément besoin d’amis. Ou encore lorsque vous avez trouvé une élève tutrice pour un élève en difficulté et l’avez vu remonter la pente pendant une période scolaire difficile. Et que dire de celui aux idées suicidaires que vous avez adressé à la travailleuse sociale de l’école. Ou de celle qui vous avait confié être victime d’intimidation. Vous avez travaillé d’arrache-pied avec l’administration pour mettre fin aux agissements de l’intimidateur. Vous vous rappelez cette fois où vous vous êtes battue pour sauver un cours destiné aux élèves à risque arbitrairement mis au rebut. Toutes ces actions façonnent la communauté scolaire de manière subtile et durable. À l’approche des vacances d’été, faites le point et reconnaissez que vos actions produisent un effet sur la vie de vos élèves. Vous êtes bien meilleur·es que vous ne le pensez. Cela devrait vous apporter une certaine tranquillité d’esprit.

Pour terminer

Je suis bien sûr un fervent partisan des intervenant·es scolaires. J’ai travaillé avec de nombreuses personnes talentueuses qui ont joué un rôle déterminant dans la vie de leurs élèves et dans les communautés scolaires où leurs talents se sont déployés. Alors que le rythme de vie des écoles se révèle souvent vertigineux – je suppose que le tourbillon de la fin de l’année scolaire vous absorbe complètement –, l’équilibre, le sang-froid et la résilience de professionnel·les comme vous constituent une véritable source d’inspiration. J’ai la certitude que cela motive également bon nombre de vos élèves.

Voici venue la fin de la chronique Tranquillité d’esprit et de mon mandat pour le magazine Canadian School Counsellor et MZP inc. Lorsque, en 2013, le regretté Trevor Shirtliff m’a embauché pour rédiger une chronique pour les intervenant·es scolaires, j’étais loin de me douter que je resterais dans les parages pendant plus d’une décennie. Mais nous y voilà. Je veux ici remercier Donna Billey et l’ensemble du personnel de MZP d’avoir mis en valeur mes écrits et de les avoir accompagnés de photos et de graphiques de premier ordre. Je tiens tout particulièrement à féliciter le groupe pour son travail pendant la période de transition qui a suivi le décès soudain de Trevor, il y a quelques années. J’ai beaucoup appris en écrivant pour MZP. Il est étonnant de constater à quel point un enseignant s’instruit quand il rédige des textes sur l’éducation pour une publication sur l’éducation. La phrase précédente pourra sembler maladroite, mais elle décrit bien mon parcours.