Spring 2024 - French

Suivre un cours dans une école privée tout en restant à l’école de jour : un moyen de favoriser sa douzième année ou plutôt de profiter du système?

La douzième année est une année charnière pour l’ensemble des élèves. Elle clôt leurs études secondaires et se distingue par plusieurs grands événements : les photos de fin d’études, le bal de fin d’année, la remise des diplômes, les demandes d’inscription dans un collège, dans une formation en apprentissage, à l’université ou encore l’arrivée sur le marché du travail. Certes, le collège et les métiers spécialisés constituent des options tout à fait viables pour nombre d’élèves. Toutefois, l’université reste l’option qui suscite le plus d’anxiété. Tout compte : chaque note, chaque devoir, chaque test, chaque examen. Les élèves consultent leurs enseignant·es, les supplient, négocient chaque note. Disons-le : les élèves de douzième année qui se destinent à l’université et leurs parents ou tuteurs et tutrices sont ceux que l’on croise le plus souvent au département d’orientation scolaire.

Ainsi, une élève de douzième année (appelons-la Rose) vient-elle souvent me voir ces derniers temps.  Son objectif? Entrer dans une prestigieuse université canadienne. Cependant, depuis la neuvième année, les notes de français de Rose se situent autour de 70 %. Rose est une bonne élève en français. Ses essais et analyses de textes sont tout à fait pertinents : B+ est une note honorable. Mais les programmes auxquels Rose veut s’inscrire exigent au moins 90 %. Rose doit augmenter sa note de 15 à 20 % en français. De plus, ses cours universitaires de mathématiques et de sciences de douzième année doivent aussi se situer dans la fourchette exceptionnelle. 

Les parents de Rose m’appellent fréquemment pour me demander conseil. Je leur propose plusieurs pistes : aide à la rédaction d’essais, coordonnées de tuteurs et tutrices, tutorat par les pairs, aide après l’école. Rose et ses parents estiment que ces suggestions ne présentent pas assez de garanties et optent pour une solution que d’autres élèves de douzième année dans des situations similaires ont expérimentée, ils le savent : inscrire Rose à un cours de français de douzième année dans une école privée tout en maintenant l’inscription de Rose à temps plein dans notre école.  

Au département d’orientation scolaire de mon conseil scolaire, nous constatons que cette tendance s’accentue. Ce qui était autrefois une exception – suivre un cours dans une école privée tout en fréquentant l’école de jour – gagne du terrain et devient la norme pour de nombreuses familles qui peuvent se permettre de payer ce crédit « unique ». Les parents dépensent jusqu’à mille dollars – parfois plus – dans des écoles privées agréées pour que leurs enfants puissent suivre ces cours particuliers. Rose a donc suivi son cours FRA4U dans une école privée – cours que nous proposons dans notre école secondaire financée par des fonds publics – et a obtenu 95 %. Les camarades de Rose qui ont suivi le cours de français de l’école de jour et obtenu 85 % sont maintenant désavantagés. Ou est-ce le cas? 

Il y a plusieurs avantages à suivre un ou deux cours dans une école privée en dehors des heures de cours normales, tout en poursuivant sa scolarité à l’école de jour, pour profiter de tous les avantages de la douzième année. Tout d’abord, dans la plupart de ces écoles, les élèves peuvent obtenir des crédits en six semaines, ce qui raccourcit considérablement la durée des cours par rapport à celle d’un semestre complet. De plus, suivre un cours dans une école privée offre aux élèves une certaine souplesse, car nombre de ces établissements proposent ces cours virtuellement ou une combinaison de cours en personne et de cours virtuels. Les élèves peuvent se consacrer à ces cours et travailler sur leurs unités pendant les fins de semaine ou les vacances. Par ailleurs, et ceci est un point important, les notes données dans les écoles privées sont souvent gonflées. Comme intervenante scolaire depuis 18 ans, je peux l’affirmer en toute confiance. J’ai vu quantité d’élèves obtenir 60 % en mathématiques en onzième année dans une école de jour ordinaire, et par la suite obtenir plus de 90 % en mathématiques universitaires en douzième année dans une école privée. Il s’agit là d’une disparité énorme. À maintes reprises, les parents choisissent cette option pour leurs enfants, ce qui leur donne un avantage concurrentiel par rapport aux élèves qui suivent tous leurs cours dans des écoles publiques. 

Malgré les avantages liés à la fréquentation de ces écoles privées, on constate des inconvénients flagrants, à commencer par le coût de chaque cours. Certaines écoles privées facturent jusqu’à mille dollars par cours et parfois plus. Les élèves dont les familles ne disposent pas de ces moyens financiers sont automatiquement désavantagés. Ce type d’apprentissage leur reste incessible. De plus, comme les élèves suivent souvent ces cours virtuellement, ils ne bénéficient pas des avantages de l’expérience et de l’environnement d’apprentissage en personne, entre autres discussions une fois la leçon terminée, tests et travaux de groupe réalisés avec les camarades de classe. Les élèves qui suivent des cours dans une école privée travaillent d’ordinaire seuls. Un membre du corps enseignant leur donne leur travail et le note, mais ils ne bénéficient pas de tous les avantages qui vont de pair avec la présence physique dans une salle de classe.

Outre ces inconvénients, je pense que le principal problème que posent ces cours dans une école privée se manifeste de trois manières distinctes :

  1. Les élèves ne sont pas en mesure de comprendre pleinement les subtilités du cours parce qu’une grande partie des leçons sont enseignées en ligne et ils doivent apprendre par eux-mêmes.
  2. Deuxièmement, les élèves obtiennent une note gonflée qui les aide à décrocher une moyenne de douzième année gonflée, elle aussi. Ils entrent ainsi dans le programme de leur choix. Cependant, en raison de ces notes surévaluées, au cours de la première année, nombre de ces élèves rencontrent des difficultés et, dans certains cas, se voient imposer une période probatoire. Je le sais parce que plusieurs de ces élèves reviennent à l’école pour demander un relevé de notes lorsqu’ils décident de changer de programme et, parfois, d’établissement.
  3. La dernière conséquence, et la plus importante pour celles et ceux qui choisissent de suivre des cours privés, concerne la note gonflée attribuée à l’élève qui lui permet de prendre la place d’un·e élève qui n’a pas obtenu les mêmes notes pendant ses cours à l’école de jour.

Quelle est donc ma position sur ce sujet? 

Dans certains cas, ces cours en école privée s’avèrent très utiles, voire nécessaires. Je ne fais pas référence ici aux élèves qui doivent suivre des cours individuellement en raison de circonstances particulières, comme une maladie qui les empêche de fréquenter leur école de jour. Bien sûr, le cours en école privée se justifie et doit être soutenu si l’école de jour habituelle de l’élève ou le conseil scolaire n’offre pas ce cours.

Que l’on considère ces écoles privées comme une ressource accessible ou comme des fabricants de notes, en fin de compte, les élèves sont désavantagés sur deux fronts. Tout d’abord, les élèves qui suivent les cours de l’école privée ne font pas l’expérience de l’ampleur et de la profondeur de l’apprentissage qui se déploie au cours d’un semestre complet à l’école de jour. Résultat : ils développent un faux sentiment d’aptitude scolaire. Deuxièmement, le reste de nos élèves de douzième année, celles et ceux qui s’attaquent à ces cours universitaires difficiles à l’école de jour, obtiennent des notes exceptionnelles, de l’ordre de 80 à 90 %, ce qui n’est peut-être pas suffisant par rapport aux notes des élèves de l’école privée. Autrement dit, les élèves de l’école privée prennent les places et poussent les élèves de l’école de jour hors des programmes.

Je réfléchis à ce dilemme depuis un certain temps. Je suis évidemment partiale, car je suis intervenante scolaire dans un système scolaire public et je n’encourage pas cette pratique. Mais au nom de l’équité, j’ai pensé présenter les deux côtés de la médaille, les avantages et les inconvénients de ces cours dans une école privée tout en restant dans son école d’origine. Depuis des années, les intervenant·es scolaires, le corps enseignant, les parents et les élèves participent à ce débat constant. Compte tenu de la prolifération des écoles privées en Ontario, c’est un sujet que j’avais hâte d’aborder. Au cours des prochaines semaines, alors que les élèves de douzième année recevront des offres de divers programmes postsecondaires, j’espère qu’ils et elles seront adéquatement préparés aux difficultés qui les attendent à l’aube de leur prochaine phase d’apprentissage. Auront-ils les connaissances nécessaires pour réussir? Disposeront-ils d’une éthique de travail appropriée?  Seul l’avenir nous le dira.

Par : Anna Macri