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Nos écoles sont-elles sûres? (2e partie) La peur et le danger : affronter les démons à l’école

Le monde a parfois de quoi nous effrayer. Les bulletins de nouvelles tendent à brosser un tableau saisissant de tout ce qui va mal dans la société. C’est souvent aux enseignants qu’il incombe de s’efforcer de présenter les choses sous un éclairage optimiste et de rendre l’expérience vécue à l’école et en classe la plus positive possible pour leurs élèves.

Dans certains cas, cependant, les enseignants doivent être conscients de l’existence d’enjeux à la fois terrifiants et dangereux. Et quand ces problèmes surviennent, les leaders scolaires doivent prendre conscience des aspects négatifs et s’attaquer de front à ces problèmes au lieu d’en nier l’existence et de fermer la porte de la classe. Cela demande à la fois de l’intuition et du courage.

Les éléments qui suivent ont une large portée. Quelles interventions sont appropriées lorsqu’une intervenante ou un intervenant scolaire soupçonne la présence d’une affiliation à un gang, d’un trafic de drogue ou de la traite de personnes au sein de la communauté scolaire? Comment faut-il réagir? À qui faut-il demander de l’aide pour s’attaquer au problème? Quels sont les signes avant-coureurs à surveiller? Comme les intervenants scolaires font partie du personnel de première ligne, ils sont souvent les premiers à observer quelque chose d’anormal, avant qu’un problème plus vaste soit découvert.

Le présent article et son contenu se veulent informatifs; ils visent à jeter un éclairage sur ces réalités. Mais il est fort probable que certains de nos lecteurs ont déjà eu ou auront un jour à faire face à des situations de ce genre. Ces problèmes quittent rapidement le domaine de votre bureau avant d’être pris en charge par l’administration de l’école et la police. Ils ont pour points communs le recrutement d’élèves par des acteurs malfaisants, la manipulation qui pousse la recrue à exécuter certaines tâches et la difficulté qu’elle a à échapper à ceux qui l’ont attirée dans leur réseau. Le recrutement par les gangs, le trafic de drogue et la traite des personnes existent aussi à l’extérieur de l’école, où leurs tentacules s’étendent depuis la collectivité élargie.

Les gangs

Selon une estimation de l’Enquête policière canadienne sur les gangs de jeunes, près de 7 000 jeunes sont membres de l’un des plus de 400 gangs qui sévissent au pays. Près de la moitié de ces membres de gangs ont moins de 18 ans, de sorte que bon nombre d’entre eux fréquentent l’école secondaire. L’un des meilleurs moyens de déterminer si une communauté scolaire est vulnérable à l’activité de gangs est d’entrer en liaison avec les forces de l’ordre afin de savoir si des gangs sont actifs dans les quartiers voisins. Si la collectivité a un problème de gangs, la présence de membres de gangs à l’école est probable.

Même si les enseignants sont au courant de cette situation, bon nombre d’entre eux nient encore que des membres de gangs puissent hanter les corridors de leur école. Selon les résultats d’une étude américaine, quatre directeurs d’école sur cinq nient la présence de gangs dans leur école, bien qu’on ait établi le taux de participation aux gangs à près de 15 % chez la population étudiante. Ces données indiquent soit un manque flagrant de sensibilisation, soit un refus de reconnaître les faits.

Vous entendrez peut-être des rumeurs voulant que certains élèves appartiennent à un gang, ou vous verrez des signes d’implication dans un gang. Voici quelques indices à surveiller :

  • Un groupe d’élèves porte des vêtements de la même couleur ou des accessoires vestimentaires semblables, par exemple un bandana, une ceinture ou une boucle de ceinture, des bijoux ou la tenue de sport d’une équipe. Si un groupe d’élèves a une tenue vestimentaire commune, c’est une bonne idée d’ouvrir l’œil sur ses activités.
  • Des tatouages distinctifs, des graffiti et des dessins uniques, mais communs sur des objets tels que les cahiers ou les devoirs peuvent évoquer l’imagerie des gangs. À noter que celle-ci comprend souvent la représentation d’un indicatif régional ou du nom d’un quartier ou d’une rue.
  • Les membres d’un gang marquent souvent leur affiliation à un groupe par certains gestes, une poignée de main particulière ou d’autres signaux.

La clé réside dans le processus d’observation, même s’il se solde par le constat que le ou les élèves que vous surveillez ne sont pas impliqués dans un gang.

En règle générale, les membres d’un gang ne passent pas inaperçus. Des enseignants remarqueront peut-être un manque d’assiduité ou de rendement scolaire. Des parents pourraient signaler un changement de comportement, des sources de revenus ou des possessions inexpliquées, ou le non-respect de l’heure de rentrée convenue et des règles de la maison. S’il s’avère qu’une ou un élève fréquente un gang de jeunes, il importe que l’intervenante ou l’intervenant scolaire s’associe aux parents de l’élève, à l’administration de l’établissement, au personnel de travail social et d’intervention auprès des enfants et des jeunes de l’école et aux forces de l’ordre, afin d’envisager les stratégies susceptibles de contribuer à la sécurité de l’école et à celle de l’élève.

Les querelles de gangs qui sévissent à l’extérieur de l’école s’infiltrent souvent dans les établissements scolaires. C’est un genre de situation que les autorités de l’établissement se doivent de contenir afin de maintenir la sécurité et l’inviolabilité du milieu d’apprentissage qu’elles sont chargées de protéger. Bon nombre d’experts estiment qu’une bonne démarche consiste à traiter le problème de façon proactive en prévenant le recrutement par les gangs, en intervenant auprès de l’élève impliqué pour voir s’il est possible de l’aider à se libérer du gang, et en réprimant les activités de gang qui risquent de porter préjudice à la collectivité. Une telle approche nécessite la collaboration de tous les partenaires, la directive première étant d’assurer la sécurité de l’école.

Le trafic de drogue

L’existence d’un problème de consommation de drogues chez les élèves ne fait pas de doute. Les cinq principales substances consommées par les jeunes sont :

  • l’alcool (71,5 %),
  • le cannabis (25,1 %),
  • les hallucinogènes (4,6 %),
  • l’ecstasy ou la MDMA (3,8 %),
  • la cocaïne (2,7 %).

Source : Enquête de surveillance canadienne de la consommation d’alcool et de drogues (ESCCAD)

Compte tenu de ces chiffres de consommation, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un jeune sur cinq déclare s’être fait offrir de la drogue à l’école et avoir été témoin de la vente de drogue dans son voisinage.

Il va sans dire que le trafic de drogue est un problème permanent dans nos écoles. Plusieurs facteurs favorisent les trafiquants de haut niveau. Il est relativement facile de recruter des revendeurs dans les écoles, étant donné le niveau de maturité émotive de bien des adolescents et leur désir intense de s’intégrer à leur groupe de pairs. Les recruteurs ciblent aussi bien le jeune dur à cuire qui cherche à faire sa marque que l’adolescente timide qui espère sortir du lot. Les adolescents, on le sait, ont à la fois tendance à courir des risques et à manifester un mépris flagrant des conséquences. Fait à noter, les gangs sont souvent derrière le commerce de drogue à l’école et se servent de leur réseau pour recruter des revendeurs potentiels.

Dans un récent reportage de Global News (août 2023), un vendeur de drogue décrit comment il s’est fait attirer dans ce racket. Des élèves plus âgés lui ont offert gratuitement du liquide à vapoter à base de nicotine. Il a trouvé ce geste à la fois généreux et cool. Il est devenu accro à la nicotine, mais il n’avait pas les moyens de s’acheter de quoi vapoter, et ces élèves l’ont recruté pour qu’il vende toutes sortes de drogues à ses camarades. D’après Steve (prénom fictif), si les administrateurs scolaires se demandent pourquoi des armes et des bagarres s’infiltrent dans les écoles, dans bien des cas, il leur suffirait de se pencher sur le commerce de drogue. Steve a finalement réussi à s’affranchir des trafiquants de drogue; il travaille aujourd’hui comme intervenant auprès des jeunes.  

Si, dans l’exercice de vos fonctions, vous apprenez qu’un élève fait du trafic de drogue, la marche à suivre est la même que si vous le soupçonniez d’appartenir à un gang : informer l’ensemble de l’équipe scolaire et les parents de l’élève, et faire appel aux forces de l’ordre pour une consultation et, au besoin, une intervention. L’objectif consiste alors à épauler l’élève s’il exprime le désir sincère de se désengager du trafic de drogue. Dans le cas contraire, il faudra alors prendre des mesures afin de protéger la communauté scolaire.

La traite des personnes

La traite des personnes est considérée comme l’une des activités criminelles les plus florissantes au monde. Elle consiste à recruter, transporter, héberger et contrôler un individu afin de l’exploiter au bénéfice d’un trafiquant ou de son réseau. Les formes les plus courantes de traite des personnes sont l’exploitation sexuelle (le fait de forcer une personne à pratiquer le commerce du sexe) et le travail forcé (le fait d’obliger quelqu’un à travailler sans salaire). Une proportion effarante (95 %) des victimes de la traite des personnes sont des femmes, et 22 % de ces victimes ont moins de 18 ans. La plupart des personnes attirées dans l’orbite de trafiquants d’êtres humains connaissent la personne qui les recrute. Beaucoup d’autres racontent qu’une personne apparemment bien intentionnée les a tirées d’un pétrin, pour ensuite les faire entrer de force dans un monde d’où les chances d’évasion sont si minces que plusieurs choisissent de mettre fin à leurs jours, plutôt que d’appeler les autorités à l’aide.

Les experts de la traite des personnes parlent d’un crime caché, car il se produit souvent à la vue de tous. Beaucoup de gens ont pour collègues de travail des victimes du travail forcé ou font affaire sans le savoir avec des entreprises dont la main-d’œuvre est formée de travailleurs forcés. De leur côté, celles (et ceux) qui sont obligées de travailler dans le commerce du sexe deviennent si vulnérables et si terrifiées par les menaces de leur trafiquant qu’elles en arrivent à conclure qu’elles n’ont d’autre choix que d’obéir et de se taire.

Les victimes de ce crime insidieux sont plus susceptibles d’être prisonnières de leurs ravisseurs sur le plan psychologique que sur le plan physique. La coercition sociale, mentale et financière est si profondément ancrée que dans bien des cas, la victime fréquente l’école, travaille et se déplace librement. Cette coercition se développe au fil d’un processus de recrutement (qui peut se faire dans la collectivité, en milieu scolaire ou sur les réseaux sociaux), de formation (allant jusqu’à l’endoctrinement) et d’exploitation que les victimes décrivent comme un mécanisme terrifiant et omniprésent.

Comme 22 % des victimes de la traite des personnes ont moins de 18 ans et que l’écrasante majorité d’entre elles sont de sexe féminin, les intervenants scolaires doivent ouvrir l’œil sur les filles vulnérables de la communauté scolaire. Selon des spécialistes du trafic sexuel, les recrues tendent à être :

  • des femmes ou des filles, les personnes 2SLGBTQ+ étant particulièrement visées;
  • des femmes ou des filles autochtones et racialisées;
  • des jeunes ayant déjà subi des violences physiques et sexuelles;
  • des jeunes placés en famille d’accueil;
  • des jeunes sans abri;
  • des jeunes qui ont une faible estime de soi et qui cherchent à développer un sentiment d’appartenance.

Source : Ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires de l’Ontario, 2021

Plusieurs provinces ont établi, à l’intention des établissements scolaires, des directives portant sur le dépistage de la traite des personnes et son signalement aux conseils scolaires et aux forces de l’ordre. En Ontario, chaque conseil scolaire est tenu de mettre en place un protocole de lutte contre le trafic sexuel qui décrit la marche à suivre si une ou un élève est victime de ce crime. Le ministère de l’Éducation a affecté des fonds à la formation du personnel au dépistage des victimes potentielles.

Pour ce qui est des signes pouvant indiquer qu’une ou un élève pourrait être victime de trafic sexuel, les intervenants scolaires peuvent surveiller si la personne :

  • s’éloigne ou s’isole de sa famille et de ses amis;
  • reste discrète sur ses activités;
  • ne dit pas d’où proviennent l’argent ou les cadeaux qu’elle a reçus;
  • s’absente de l’école ou a des résultats scolaires en baisse;
  • passe soudainement du temps avec une personne plus âgée;
  • possède un deuxième téléphone dont le numéro est caché;
  • présente des signes de violence physique ou mentale.

Plusieurs de ces caractéristiques peuvent indiquer que l’élève est « à risque », mais elles peuvent aussi nous alerter sur une activité malfaisante.

Conclusion

Dans l’ensemble, il importe que les communautés scolaires évitent de se mettre la tête dans le sable et admettent que leur école peut être vulnérable à l’infiltration de gangs, au trafic de drogue et à la traite des personnes. Si on néglige de traiter un problème potentiel, les enjeux ignorés risquent de se transformer en problèmes extrêmement difficiles et lourds pour la communauté scolaire. Du point de vue des intervenants scolaires, le fait de demeurer à l’affût et d’avoir conscience que des élèves sont vulnérables et que des problèmes risquent de survenir peut contribuer largement au maintien de la sécurité de l’établissement. C’est d’ailleurs ce que les intervenants scolaires font instinctivement. Lorsque cet instinct se manifeste, il est réconfortant pour les intervenants de savoir que toute une équipe de parents, de travailleurs de soutien, d’administrateurs et de policiers s’unira pour agir dans l’intérêt supérieur des élèves et de la communauté scolaire.


Les intervenants scolaires ont tout intérêt à explorer les politiques, procédures et protocoles mis en place par leur conseil scolaire à l’égard d’enjeux tels que les gangs, la drogue et la traite des personnes. Les dispositions varient d’une province à l’autre, mais un bon nombre de ressources remarquables pourront aider les intervenants à affronter ces problèmes.


Par : Sean Dolan