Les manchettes ont de quoi étonner les enseignants…
« Une élève d’Ottawa battue par des camarades dans les toilettes de l’école »
« Un élève de 15 ans atteint par balles et laissé pour mort sur le terrain de stationnement d’une école de Toronto »
« Un cyberintimidateur harcèle une élève de Port Coquitlam au point de la pousser au suicide »
« Bagarre entre 50 jeunes aux abords d’une école secondaire de Halifax »
« La mère d’un enfant transgenre le retire du réseau scolaire public.
Elle affirme que l’école a fermé les yeux sur des cas de harcèlement et d’intimidation »
Ce sont là des nouvelles de premier plan dans l’esprit du personnel, des élèves et des parents, au cœur de ce que plusieurs désignent comme une nouvelle ère de l’anxiété. Presque tous les territoires et provinces signalent une hausse du nombre d’incidents de harcèlement, d’intimidation et de violence à l’école, ce qui amène les intervenants à se poser la question :
« Nos écoles sont-elles sûres? »
Les mauvaises nouvelles
Une foule de données tendent à indiquer une certaine hausse des comportements négatifs dans nos écoles postpandémiques. Lors d’un sondage mené auprès d’enseignants ontariens, 80 % des répondants ont déclaré que le nombre d’incidents violents avait augmenté dans les écoles, tandis que 66 % estimaient que les incidents étaient plus graves qu’avant la pandémie. Au Manitoba, « les morsures, les coups de pied et les insultes » ont acquis une telle prévalence à l’école publique que la Direction de la sécurité et de l’hygiène du travail considère désormais l’éducation comme une « industrie à haut risque », dans la même catégorie que les fonderies, les scieries et les sites de démolition en matière de sécurité. En Colombie-Britannique, un rapport provincial sur l’analyse de données recueillies de 2011 à 2020 documente près de 17 000 « demandes d’indemnisation pour heures perdues » produites par des enseignants ayant subi des blessures lors d’incidents violents en milieu scolaire. Pendant ce temps, le Halifax Herald s’est prévalu des dispositions sur l’accès à l’information pour obtenir des données qui relèvent plus de 11 000 incidents violents survenus dans les écoles de la région au cours de l’année scolaire 2020-2021 (bien que les élèves aient passé plusieurs semaines à la maison, les écoles étant fermées à cause de la COVID).
Toutes ces informations brossent un sombre tableau de l’état actuel de la sécurité dans les écoles canadiennes. Cela a tout de même de quoi étonner, compte tenu des efforts concertés mis en œuvre par les enseignants canadiens pour accroître la sécurité à l’école, un processus amorcé il y a plus de vingt ans. Malgré les programmes et les politiques qui tracent le cadre de ce qui constitue une école sûre, le personnel et les élèves sonnent l’alarme.
La bonne nouvelle
La bonne nouvelle, c’est que les enseignants sont des spécialistes de la création de milieux d’apprentissage sûrs et accueillants pour leurs élèves. Leur stratégie commence par une approche globale du problème. Quand les enseignants tiennent une conversation sur la sécurité à l’école, ils examinent généralement une gamme de sujets qui vont au-delà des incidents de violence, englobant des enjeux tels que la violence verbale et émotionnelle, l’intimidation et d’autres comportements destructeurs. Ils couvrent aussi des aspects de la sécurité du milieu tels que la sécurité de l’immeuble et l’adéquation de l’équipement des classes. Dans l’ensemble, ces conversations portent sur les moyens proactifs d’instaurer un milieu d’apprentissage sûr pour tous les élèves.
Comment procède-t-on? Les enseignants ont tendance à examiner le tableau général en posant une question fondamentale : à quoi ressemble une communauté scolaire sûre? Une école sûre favorise une libre circulation de l’apprentissage, sans distractions inutiles et inacceptables telles que le harcèlement, l’intimidation, la violence et les drogues. Les relations entre les membres du personnel, entre ceux-ci, les élèves et les parents, ainsi qu’entre les élèves, sont empreintes de respect. L’école valorise la réussite scolaire et sociale et propose un riche éventail d’activités parallèles au programme. Quand survient un incident qui perturbe l’harmonie du milieu scolaire, les mesures de réparation se prennent avec diligence : les intimidateurs sont confrontés; les graffitis, nettoyés; les ressources scolaires, renouvelées. Autrement dit, une école sûre est un établissement qui reconnaît, valorise et promeut une vision du milieu d’apprentissage idéal, depuis l’arrivée de l’élève à l’entrée de l’école jusqu’à son départ.
Cette vision peut sembler utopique. Quel établissement est à l’abri des distractions, du manque de ressources et d’autres problèmes qui rendent la situation d’apprentissage moins qu’idéale? Après tout, quand on héberge des centaines de personnes dans un même immeuble, les collisions entre personnalités et les dépassements des limites sont inévitables. Pourtant, c’est la définition et la recherche d’un idéal (d’une utopie?) qui caractérise le mieux l’instauration de la sécurité à l’école.
Quel peut être le rôle des intervenants scolaires?
Les intervenants scolaires ne sont peut-être pas en mesure de prendre les grandes décisions porteuses de changement pour la sécurité en milieu scolaire, mais ils ont leur mot à dire quand vient le temps de donner leur avis. Pour ce faire, ils peuvent soit siéger au comité de sécurité scolaire de leur établissement (le cas échéant), soit mettre en œuvre des approches fondées sur le bon sens pour faire de l’école un milieu plus sûr. Les intervenants scolaires sont souvent très bien placés pour voir ce qui ne tourne pas rond. Cela s’observe souvent dans les préoccupations au sujet d’un élève ou les divulgations faites par certains élèves. L’intervenante ou l’intervenant peut aussi remarquer dans son milieu scolaire certains incidents qui suscitent un malaise.
Dans le bureau des intervenants
Les intervenants scolaires sont en première ligne pour déceler les menaces à la sécurité du milieu scolaire. Une collègue ou un parent pourra leur parler d’un élève perturbé; l’élève pourra lui faire une révélation troublante au cours d’un rendez-vous d’intervention. Lorsque cela se produit, il s’agit de mettre en place un plan de sécurité pour l’élève, en collaboration avec le personnel de soutien (principalement les travailleurs auprès des jeunes et les travailleurs sociaux). Cette approche en équipe, où les parents ou tuteurs de l’élève et l’administration sont toujours des parties prenantes, fait des merveilles pour améliorer la sécurité en milieu scolaire. Le dépistage précoce des élèves en difficulté et la réaction immédiate sont les principaux apports des intervenants scolaires à l’instauration d’un milieu scolaire sûr.
Certains signes avant-coureurs émergent lorsqu’un élève représente un danger potentiel pour lui-même ou pour autrui. L’American Psychological Association encourage les intervenants scolaires à demeurer à l’affût de ces tendances observables chez les élèves :
- les problèmes de gestion de la colère;
- l’attitude perturbatrice en classe;
- l’implication dans des altercations physiques;
- la menace de s’en prendre à autrui;
- le manque de respect pour le bien-être d’autrui;
- le mépris de l’autorité;
- la consommation de drogues;
- le vandalisme.
Si des élèves manifestent certains de ces comportements, sinon tous, une intervention proactive s’impose. Une école sûre décèle les cas problématiques et les traite avant qu’ils dégénèrent. La première étape essentielle au maintien de la sécurité à l’école consiste à rencontrer ces élèves, à discuter avec leurs enseignants, à communiquer avec leurs parents et leurs tuteurs, et à énoncer un message clair quant aux comportements acceptables ou inacceptables.
D’autres comportements d’élèves pourraient susciter une intervention. Par exemple, les élèves qui s’isolent – les solitaires à la cafétéria ou les petits groupes qui dînent dans les toilettes de l’école – devraient faire l’objet du suivi d’une intervenante ou d’un intervenant compatissant. Les écoles sûres offrent un robuste choix d’activités parallèles au programme. L’élève solitaire a peut-être besoin d’établir des liens avec un club ou un sport. On peut offrir aux élèves qui choisissent d’éviter la cafétéria en faveur d’une salle de bains (quelle horreur!) la salle de conférences des intervenants ou une classe vide, le temps de faire la transition vers un retour à la cafétéria. Ces deux situations sont des symptômes de l’insécurité que peuvent ressentir les élèves. Une école sûre peut offrir un espace et un lieu à chacun. Les intervenants scolaires peuvent contribuer à concrétiser cet objectif.
Les abords de l’école
Les administrateurs sont souvent aux prises avec une diversité d’enjeux qui détournent leur attention de certains problèmes qu’il faut régler aux abords de l’école. Les intervenants scolaires peuvent devenir cette voix douce qui attire leur attention sur certains problèmes. Par exemple, une administratrice solide saura quels éléments contribuent à la sécurité d’une école. Au-delà des comportements acceptables et inacceptables, les administrateurs doivent avoir conscience des éléments physiques du bâtiment scolaire qu’il faut réparer, tels qu’une toiture qui fuit ou un carrelage ébréché. L’éclairage est un autre aspect important. Les élèves devraient pouvoir arpenter des corridors clairs et apprendre dans des classes bien éclairées. Les murs doivent être libres de graffitis et repeints régulièrement pour redonner un aspect de neuf au bâtiment scolaire. De plus, comme bon nombre d’établissements sont dotés de caméras de surveillance, les administrateurs devraient avoir conscience des « zones grises », les endroits où les élèves peuvent se mettre à l’abri du regard des caméras. Si un administrateur ne semble pas avoir remarqué ces zones préoccupantes, l’intervenante scolaire pourra attirer son attention sur ce problème, dans l’intérêt d’instaurer un milieu scolaire sûr pour tout le monde.
De telles suggestions pourraient susciter des réponses comme celle-ci : Un instant! C’est le travail de l’administration! Les intervenants scolaires sont censés rester à leur place! C’est vrai. Mais si la sécurité en milieu scolaire est la force qui anime les suggestions faites à l’administration scolaire, les intervenants ne font pas le travail des administrateurs à leur place. Ils se bornent à suggérer : « Et si on faisait cela? » et à aider l’administration à éviter des situations potentiellement épineuses.
S’attendre à ce que les gens posent les bons gestes
En plus de s’attendre à ce que le personnel, les parents et les élèves se comportent de manière civilisée, il faut aussi veiller à ce qu’ils posent les bons gestes. Du point de vue du sens commun, quand un incident violent survient, qu’un élève est victime d’intimidation ou qu’une personne détruit des biens scolaires, il faut qu’il y ait des conséquences. Souvent, quand aucune sanction n’est annoncée, on a tendance à se croiser les bras et à rejeter le blâme soit sur les parents, soit, le plus souvent, sur l’administration. Cette situation est problématique à plus d’un titre pour les établissements qui cherchent à assurer la sécurité de leur communauté. Premièrement, l’absence de réaction ou une réaction molle renforce le comportement indésirable. Deuxièmement, dans notre société portée de plus en plus aux litiges, l’établissement peut être tenu à juste titre d’intervenir conformément à une norme législative. Par exemple, plusieurs provinces ont adopté une loi sur la sécurité scolaire qui oblige l’administration à réagir aux cas de violence et d’intimidation. L’omission d’agir peut mettre le personnel dans l’eau chaude face au conseil scolaire ou à l’organisme provincial de réglementation de la profession (l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, par exemple). On n’est plus à l’époque où on pouvait balayer les problèmes sous le tapis. Les enseignants sont tenus de respecter une norme de conduite stricte, sous peine de sanctions prévues dans les politiques et les lois en vigueur.
Respect, discipline, compassion, civilité, harmonie et unité
La sécurité en milieu scolaire n’est pas nécessairement une mission terrifiante qui exige un effort massif. Cet enjeu peut se traiter de plusieurs façons : en classe, avec un niveau approprié de respect et de discipline; dans le bureau des intervenants, avec compassion et civilité; à l’échelon administratif, en gardant à l’esprit la dignité de chaque élève tout en veillant à doter l’école des ressources dont elle a besoin pour faciliter l’apprentissage. Autrement dit, l’école sûre insiste sur la cohésion et fait tout en son pouvoir pour veiller à ce que l’harmonie soit la norme et l’unité, l’objectif perpétuel.
Par : Sean Dolan